Préparation de l’opération.
Nous sommes en 1943. – Depuis deux ans, les responsables de notre région s’installent et organisent le refuge .
Le recrutement, l’affectation de chacun sont pratiquement au point mais se poursuivent. Les missions confiées aux différentes formations, voire à certains membre du réseau, relèvent davantage de la recherche et de la transmission de renseignements que d’opérations spectaculaires.
Mais voici que, vers le mois de novembre, mon chef, le commandant de refuge, me fait part d’un parachutage imminent. Ce dernier nous fournira armes et explosifs destinés à remplir les missions que le haut commandement nous confiera au moment opportun.
Au cours de cet entretien, il m’a chargé de l’organisation de la réception.
Parmi les quelque 160 hommes recrutés dans mes sections, j’en contacte 20 que j’estime les plus discrets, les plus déterminés.
Quelques jours plus tard, l’équipe de parachutage est constituée.
Tous (sauf mon chef, vraisemblablement) ignorons où s’effectuera l’opération.
Tous, sommes fiers d’appartenir à cette équipe.
Lorsqu’un « élu » me croise, il me dit, avec une pointe d’impatience dans le regard : « Alors, rien de nouveau ? ».
Et non, rien de nouveau et pourtant ; un soir, mon chef me prie de le rencontrer pour une question banale, absolument étrangère à ce qui nous préoccupe. J’apprends, au cours de cette visite, qu'il a reçu de l'échelon supérieur, le libellé du message qui sera, prochainement, diffusé par Londres, nous avisant de la nuit du parachutage.
Avide de connaître, j’écoute mon chef me transmettre ce message. Le voici :
- au cours des mois pairs:
« Message pour URANUS : La limande est la sole du pauvre. »
- au cours des mois impaires:
« Message pour URANUS
: La limande N’est PAS la sole du pauvre. »
Dès que cette preuve de confiance m’est témoignée, j’éprouve un sens aigu de mes nouvelles responsabilités.
Pendant près d’un mois, mon assiduité à l’écoute ne me fournit aucune récompense quand, à la mi-décembre, je parviens à capter :
- « Ici Londres – Les Français parlent aux Français.
– Et voici un message pour Uranus : La limande est la sole du pauvre. » Fou de joie, je quitte mon domicile, enfourche mon vélo et vais, de section en section, alerter mes amis.
La mise en place de l’équipe s’effectue conformément à mes prévisions, mais, hélas, l’oiseau ne vient pas.
Déçus et fatigués nous regagnons, très tôt le matin, nos domiciles respectifs, considérant la mission de cette nuit comme un exercices, bien utile, du reste.
Confiants, nous espérons que la troisième fois sera la bonne.
Le parachutage.
C’est dans le courant du mois d’avril 1944 que, pour la troisième fois, je connais la joie d’entendre cette voix complice, m’adresser, au travers de « mon » message, l’ordre d’assurer la réception du parachutage décidé pour cette nuit.
Comme les fois précédentes, ma première démarche, est de me rendre au domicile des équipiers pour les inviter à se réunir au lieu de rendez-vous (1ère étape) que je leur fixe. L’heure prévue pour ce rassemblement, précède de quelque 30 minutes l’heure du couvre-feu, car, quiconque se trouve sur la voie publique après la retraite est susceptible d’être arrêté par une patrouille allemande.
Ces hommes, ainsi réunis, sont alors informés du lieu de rendez-vous (2ème étape) voisin de la plaine ; ils vont le rejoindre, un à un.
Porteur du mot de passe et par intervalles, chacun quitte le groupe, en direction du centre de parachutage. Plus loin, caché derrière une haie, à proximité du lieu de rassemblement final, un agent de réception somme l’arrivant d’arrêter : « HALTE ».
A l’énoncé du mot de passe, l’équipier est autorisé à franchir l’entrée de la propriété
Vers 23h, nous nous trouvons tous à la ferme de Monsieur Garlement, notre centre de parachutage. Notre chef nous y accueille.
Au cours de la nuit, la longue attente est mise à profit pour renouveler, entre les mains du commandant de refuge, notre prestation de serment, d’obéissance, de fidélité et de discrétion ; ensuite, au cours du briefing nous apprenons que:
- Un triqueballe à roues de voiture, construit pour le transport aisé des colis, a été déposé sur la plaine à la lisière du bois.Notre lettre code pour la transmission sol-air est le L (en morse .-..).Cinq lampes de poches rouges sont actuellement posées sur la plaine en forme de L. Dès l’arrivée de l’avion, elles devront être allumées pour, ainsi, baliser la plaine.C’est à moi qu’est confiée l’exaltante mission de correspondre avec l’équipage ; à l’aide d’une torche électrique, empruntée aux charbonnages de Ressaix, je transmettrai la lettre code en morse.La première mission consistera, une fois les containers au sol, à les libérer de leurs parachutes, qui devront être pliés et camouflés.La seconde mission sera de charger les colis sur le triqueballe et de les stocker dans la grange de la ferme.
- Le travail terminé, il conviendra d’attendre la levée du couvre-feu pour rentrer chez soi, isolément et par des routes différentes au départ de la ferme.
Instruits de ces consignes, tous, nous aspirons au moment venu, où, sous une température de moins 2°C ,nous pourrons passer à exécution. En attendant, nous dégustons avec plaisir une tasse de café que Madame nous a aimablement servie.
Vers 4h30, alors que nous commençons à désespérer, un vrombissement se fait entendre, au loin.
« Silence – Ecoutez »
Aussitôt, tous debout, nous enfilons nos lourds manteaux pour rejoindre le terrain.
Personnellement, je cours, en tête du groupe et constate que l’avion cherche à repérer la plaine.
Sans attendre que le balisage soit réalisé, je lance, vers ce puissant oiseau, la faible lueur de ma torche électrique.
Tenue des deux mains, le pouce sur le bouton et, pour ne pas commettre d’erreur, je lance, à haute voix :
Point, barre, point, point
Point, barre, point, point
Point, barre, ...
Le pilote me transmet le signal « OK » en allumant, un court instant, ses feux de bord et en me renvoyant le code par des vrombissements appropriés de ses moteurs. L’avion fait un tour de plaine, perd un peu d’altitude pour, ensuite, en une seule vague, larguer les 15 containers.
Moment inoubliable, 15 parachutes blancs et kakis, tels des petits rats, se balancent gracieusement dans la nuit, retenant près de 3.000 kilos de matériel, ô combien précieux.
Dès que les containers prennent contact avec le sol, les parachutes sont rassemblés pour, plus tard, être enterrés. La seconde phase du travail commence quand, tout à coup, un puissant phare balaye le terrain.
« Couchez! »
Allons-nous être confrontés à l’ennemi ?
Ouf ! heureusement non; après quelques balayages, ce phare s’éteint.
Après un moment de prudente attente, le travail reprend.
Il s’agissait, en fait, nous l’avons appris plus tard, d’une patrouille ennemie chargée de la surveillance de la ligne de chemin de fer Binche-Erquelines et qui disposait d’un projecteur installé sur wagon-plat.
Alors que l’équipe est prête à charger les colis, nous apprenons un second incident: le triqueballe qui doit servir au transport des containers a bien été trouvé à la lisière du bois mais démuni de ses roues qui ont été volées.
Sans attendre, le fermier, qui est des nôtres, décide d’aller chercher son tombereau et c’est ainsi que les 15 containers sont amenés dans la grange de notre centre de parachutage.
Le travail terminé (vers 5h45), les équipiers s’en retournent pour aller soit à la mine, à l’usine ou au bureau, fatigués mais heureux.
Le lendemain, les précieux colis sont chargés sur un camion et, en plein jour, transférés vers la fosse Sainte- Marie à Péronnes.
Là, avec la complicité de l’ingénieur du siège (notre officier de génie) le tout est descendu à l’étage 250. Seuls, les trois officiers et un mineur (homme de confiance arrêté plus tard par la bande Duquesne et lâchement assassiné à Courcelles) assistant à la mise en dépôt du matériel.
Après avoir extrait, avec intérêt, toutes les instructions qui vont nous permettre d’organiser un cours d’artificiers, dans les locaux de la gendarmerie de Péronnes, après avoir admiré, plastique, mitraillettes, grenades etc., l’ingénieur enferme notre secret en provoquant un éboulement simulé de la veine. Vers 23 h, tout ce petit monde regagne la surface au moyen des échelles pour ne pas attirer l’attention du personnel de la mine et du voisinage qui connaissent les heures de fonctionnement des cages.
Ce n’est que le 2 juin, jour de notre départ vers le maquis, qu’armes et explosifs seront sortis de la fosse pour entrer, enfin, dans la grande bagarre.
Après tant d’années de vexations, de contraintes, de souffrances et de révoltes, nous allons pouvoir venger nos martyrs en contribuant à bouter l’ennemi dehors, par nos actions de sabotage et notre participation aux combats de la libération.
Mais cela c’est une autre histoire...
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